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Flores Magon
Ouvrons les yeux, frères de chaînes et d'exploitation ; ouvrons les yeux à la lumière de la raison.
La patrie est à ceux qui la possèdent, et les pauvres ne possèdent rien. La patrie est la mère affectueuse du riche et la marâtre du pauvre.
La patrie est le policier armé d'un bâton, qui nous jette à coups de pied au fond d'un cachot, ou nous met la corde au cou lorsque nous ne voulons pas obéir aux lois écrites par les riches au bénéfice d'eux-mêmes.
La patrie ce n'est pas notre mère : c'est notre bourreau !
R. Flores Magon
Bourdieu, un homme de contre-pouvoirs - Autres - Télérama.fr : Décryptage | Alors que commence la publication de ses cours, la critique de l'Etat par le sociologue PIerre Bourdieu ( wikipedia ) reste d'une urgente actualité. Retour sur la pensée d'un esprit très critique
L'Etat ? « Un jeu dans lequel tout le monde se ment et ment à d'autres en sachant qu'ils se mentent. » L'homme officiel ? « Un ventriloque qui parle au nom de l'Etat. » Ainsi le subversif Pierre Bourdieu achevait-il, au Collège de France, son cours du 1er février 1990, Sur l'Etat, aujourd'hui coédité par Le Seuil et Raisons d'agir. Bourdieu et le politique ? Le sujet fait débat, voire polémique. « La lecture de ce cours s'impose à l'approche des élections, à l'heure où la crise financière précipite le démantèlement du service public. Le prolongement de l'Etat dynastique dans notre Etat bureaucratique se révèle encore d'une folle actualité sous l'ère Sarkozy », annonce Patrick Champagne, qui a établi l'édition du texte avec d'autres spécialistes, inaugurant ainsi la publication intégrale des cours et séminaires du sociologue.
“Quand je remplis un formulaire administratif
- nom, prénom, date de naissance -,
je comprends l'Etat.” Pierre Bourdieu
Sur l'Etat se donne surtout comme la route de crête de la pensée (politique) de Bourdieu, déchiffreur par excellence des mécanismes de domination, dynamiteur des ordres établis. Qu'est-ce que l'Etat, en effet, sinon l'instance suprême qui détient le monopole de la domination ? L'Etat est le principe même de l'ordre public : il opère des classifications, des hiérarchies. Il impose une vision du monde officielle, légitime, c'est-à-dire tacitement reconnue par tous. Or, c'est la fabrication même de cette légitimité mensongère, la violence sourde de cette domination que Bourdieu a pensées de livre en livre. Le sociologue a analysé ce qui n'aura finalement jamais cessé de l'étonner : le fait que l'ordre social se reproduise sans sourciller, demeurant tel qu'en lui-même. Il suffit de ne rien faire pour que les choses se perpétuent, tant les dominés intériorisent leur domination.
Quelques années plus tôt, prenant pour cible privilégiée l'école, lieu même de la reproduction des élites, Bourdieu montrait que les individus sont déterminés par leur place dans la société, dressés à agir en fonction de ce que leur classe sociale attend d'eux. Il . Mais ne nous y trompons pas : sous ses airs collectifs, il n'est en rien la chose au monde la mieux partagée... Le champ politique reste un microcosme, un univers gouverné par des spécialistes, fondé sur l'exclusion du plus grand nombre. Loin de nous unir, l'Etat nous divise. D'un côté, les clercs, de l'autre, les profanes. Dominants contre dominés...
De quoi faire enrager ceux que ce non-spécialiste désigne avec mépris comme les « dévots » du sociologue, réactivant ainsi la chasse à la secte « bourdivine », remettant de l'huile sur le bûcher ardent alimenté par tous ceux qui adorent diaboliser Bour-Dieu...
Bourdieu dynamite les apparences,
les illusions, déconstruit ce que considérons
comme allant de soi.
Un feu qui fait souvent crépiter des différends idéologiques. Car deux visions du politique s'affrontent ici : une vision (morale et juridique) qui a foi dans les principes démocratiques, rempart au totalitarisme, et une vision (critique) qui se méfie de tous les pouvoirs. L'opinion publique tout comme les sondages, censés être démocratiques, ne sont aux yeux de Bourdieu qu'une supercherie, cachant l'avis des puissants.
Bourdieu persiste et signe : « Il n'y a pas de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique. » Et ce contre-pouvoir, c'est la sociologie qui est en mesure de l'exercer. Le sociologue dévoile les processus masqués, enfouis au tréfonds de la société. Il dynamite les apparences, les illusions, déconstruit ce que nous croyons naturel, ce que nous considérons comme allant de soi. « Détruire le sens commun », « organiser le retour du refoulé », « dire à la face de tous ce que personne ne veut savoir », autant d'actions impérieuses (et ô combien politiques) menées par la sociologie, ce sport de combat. Au judo, on se sert de la force de son adversaire pour le faire tomber... En socio, l'action sur le monde social passe par la connaissance de ses mécanismes. Une métaphore martiale popularisée en 2001 par le documentaire de Pierre Carles consacré à Bourdieu, La sociologie est un sport de combat (1) : « Le titre s'est vite imposé tant cette discipline sert à se défendre contre la domination symbolique. Loïc Wacquant, l'un des disciples de Bourdieu, a une image très forte : la sociologie nous permet de ne pas être agi par le monde social comme un bout de limaille dans un champ magnétique », se souvient le réalisateur.
D'abord cantonnée à ses livres, défensive, la pensée de Bourdieu est devenue de plus en plus militante, offensive, à mesure qu'augmentait sa notoriété. En 1995, le sociologue s'est engagé corps et âme dans le mouvement social, soutenant les grèves déclenchées par le plan Juppé sur les retraites et la Sécurité sociale. Cet engagement, il l'a vécu comme une « fureur légitime », un quasi-devoir : « Ceux qui ont la chance de pouvoir consacrer leur vie à l'étude du monde social ne peuvent rester, neutres et indifférents, à l'écart des luttes dont l'avenir de ce monde est l'enjeu », a-t-il décrété. Luttant sur tous les fronts contre « l'invasion néolibérale », Bourdieu s'est fait alors plus visible dans les médias. Il venait en outre de diriger La Misère du monde, volume paru en 1993, qui donnait la parole à un peuple en souffrance. Ce best-seller inattendu a mis le sociologue sur le devant de la scène ; on le voit ainsi débattre avec l'abbé Pierre dans une Marche du siècle consacrée à l'exclusion.
Bourdieu a élaboré le concept d'intellectuel collectif,
contre la figure de l'intellectuel total incarnée par Sartre
.
Le mouvement des chômeurs de 1998 lui apparaît alors comme un « miracle social ». Il enchaîne les pétitions, multiplie les soutiens, allume un peu partout ses contre-feux, milite pour une Europe sociale, critique la « troïka néolibérale Blair-Jospin-Schröder », appelle de ses voeux une gauche vraiment de gauche et crée un collectif, Raisons d'agir, qui publie de petits essais accessibles conçus comme des armes de poing, tels Sur la télévision, signé de sa main, ou Les Nouveaux Chiens de garde, de Serge Halimi (lire page ci-contre). « Le savoir est mis en commun, partagé entre chercheurs et militants, explique Gisèle Sapiro, qui dirige le Centre européen de sociologie et de science politique. Bourdieu a élaboré le concept d'intellectuel collectif, contre la figure de l'intellectuel total incarnée par Sartre - capable d'embrasser tous les sujets -, et dans le prolongement de l'intellectuel spécifique défini par Foucault - qui, lui, intervient sur ses thèmes de recherche relevant de ses compétences, comme la prison ou la sexualité. Mais il est faux de croire que Bourdieu se serait engagé à la seule fin de sa vie. Toute sa pensée est politique : il a traité les sujets les plus brûlants, comme l'Algérie dans les années 1950, la démocratisation scolaire et culturelle dans les années 1960, la technocratie dans les années 1970. Et son mode d'engagement reste la science. Attaquer le Bourdieu engagé sert souvent de prétexte à ceux qui n'ont pas les moyens de critiquer sa théorie. »
« Bourdieu a fait son Mai 68 avec presque trente ans de retard ! » se gausse Jean Baudouin. Il aiguise son persiflage sur une contradiction apparente : « Le Bourdieu des Héritiers [1964] est très critique envers l'Etat, jugé oppresseur, tandis que celui de La Misère du monde [1993] encense l'Etat providence ». Un balancement que le cours sur l'Etat permet justement de comprendre, rappelle Patrick Champagne : « Réalité à double face, l'Etat est une machine complexe qui instaure une domination symbolique, mais peut être aussi le lieu d'une libération. » Bourdieu parle à cet égard de la main droite et de la main gauche de l'Etat - l'économique et le politique, d'un côté, le social, de l'autre. Jean Baudouin remarque encore que Bourdieu n'a pas arrêté de critiquer la République, alors que normalien, agrégé, professeur au Collège de France, fils d'un paysan devenu petit fonctionnaire, il en avait reçu tous les honneurs. Un fils indigne et turbulent ? Ces attaques, Bourdieu les connaissait par coeur. Il les a lui-même parées dans son Esquisse pour une auto-analyse : « Dénonciateur de la gloire et des honneurs, écrit-il à la troisième personne, il est avide de gloire et d'honneurs ; pourfendeur des médias, il est "médiatique" ; contempteur du système scolaire, il est asservi aux grandeurs d'Ecole, et ainsi de suite à l'infini »... Pas facile d'échapper à cette intelligence réflexive. A la main gauche et la main droite de Pierre Bourdieu...

Liberté de la presse et de réunion, inviolabilité du domicile et de tout le reste, ne sont respectées que si le peuple n'en fait pas usage contre les classes privilégiées.
Pierre Bourdieu et les médias : à cent contre un, par Pierre Rimbert ...
Sur la Television Bourdieu 1996 - 1/4, 2/4, 3/4, 4/4 -
YouTube : Première partie des deux documentaires consacrés à la télévision par Pierre Bourdieu en 1996.
La deuxième partie s'intitule "Le champ journalistique et la télévision".
Cette émission a été réalisée dans le cadre d'une série de cours du Collège de France.
Pierre Bourdieu retranscrira par la suite ces emissions dans son livre "Sur la télévision
http://www.youtube.com/watch?v=rT_4Gsaixkk
Pierre Bourdieu. Le champ journalistique et la télévision : Tous les travaux antérieurs que j'ai pu faire pourraient se résumer ainsi : cette culture est légitime parce qu'elle se présente comme universelle, offerte à tous, parce que, au nom de cette universalité, on peut éliminer sans crainte ceux qui ne la possèdent pas. Cette culture, qui apparemment unit et en réalité divise, est un des grands instruments de domination puisqu'il y a ceux qui ont le monopole de cette culture, monopole terrible puisqu'on ne peut pas reprocher à cette culture d'être particulière. Même la culture scientifique ne fait que pousser le paradoxe à sa limite. Les conditions de la constitution de cet universel, de son accumulation, sont inséparables des conditions de la constitution d'une caste, d'une noblesse d'Etat, de « monopolisateurs » de l'universel. A partir de cette analyse, on peut se donner comme projet d'universaliser les conditions d'accès à l'universel. Encore faut-il savoir comment : faut-il pour cela déposséder les « monopolisateurs » ? On voit bien que ce n'est pas de ce côté-là qu'il faut chercher.
Les hommes de la Maison Blanche - YouTube : Apparait Richard Nixon et son successeur, Gerald Ford, , Jimmy Carter, et la spectaculaire rencontre Begin-Arafat, lent début d'un processus de paix. Henry Kissinger, longtemps incarnation de la politique étrangère américaine, Alexander Haig et Lawrence Eagleburger s'expriment sur les limites de leur pouvoir, soigneusement circonscrit par les services spéciaux aux sigles aussi célèbres que délétères.
Il est évident que dans la société actuelle, divisée en maîtres et serfs, la vraie liberté ne peut pas exister; elle ne le pourra pas tant qu'il y aura exploiteurs et exploités, gouvernants et gouvernés.
kropotkine
Mais, le jour où il commence à s'en servir pour saper les privilèges — toutes ces soi-disant libertés sont jetées par-dessus bord.
Cela est bien naturel. L'homme n'a de droits que ceux qu'il a acquis de haute lutte. Il n'a de droits que ceux qu'il est prêt à défendre à chaque instant, les armes à la main.
kropotkine dans parole d un révolté
Les deux faces de l'Etat, par Pierre Bourdieu (Le Monde diplomatique)
Au moment où des Etats abandonnent leur souveraineté budgétaire à des instances supranationales — notamment européennes —, la sociologie historique rappelle ce que les dynamiques d'intégration comportent de violence et de dépossession.
par Pierre Bourdieu, janvier 2012
Décrire la genèse de l'Etat, c'est décrire la genèse d'un champ social, d'un microcosme social relativement autonome à l'intérieur du monde social englobant, dans lequel se joue un jeu particulier, le jeu politique légitime. Prenons l'invention du Parlement, lieu où, sur des problèmes conflictuels qui opposent des groupes d'intérêt, on débat dans les formes, selon des règles, publiquement. Marx n'avait vu que le côté arrière-boutique : le recours à la métaphore du théâtre, à la théâtralisation du consensus, masque le fait qu'il y a des gens qui tirent les ficelles, et que les vrais enjeux, les vrais pouvoirs seraient ailleurs. Faire la genèse de l'Etat, c'est faire la genèse d'un champ où le politique va se jouer, se symboliser, se dramatiser dans les formes.
Art. 35 - l'ère Mitterrand : http://www.youtube.com/watch?v=RfG6LaSHWWE
Deuxième vidéo d'une série de zappings sur quelques sales affaires, des affaires d'Etat français principalement.simples montages utilisant des archives de youtube Cette deuxième vidéo est sur l'ère Mitterrand, une sombre époque et révélatrice de pratiques criminelles des politiques au pouvoir. L'accumulation des nombreuses sales affaires est choquante...
Art. 35 - l'ère Chirac : http://www.youtube.com/watch?v=W3rRglf9zIo Cette quatrième vidéo sur l'ère Chirac démontre à quel point les pratiques crapuleuses de nos gouvernants se « démocratisent ». Malgré plusieurs scandales, des condamnations judiciaires historiques d'un ex-président de la république, d'un ex-premier ministre et plusieurs autres affaires classées sans suites, les français ne s'indignent presque pas, laissant aux successeurs de l'ère Chirac, une porte ouverte aux extrêmes...
Entrer dans ce jeu du politique conforme, légitime, c'est avoir accès à cette ressource progressivement accumulée qu'est l'« universel », dans la parole universelle, dans les positions universelles à partir desquelles on peut parler au nom de tous, de l'universum, de la totalité d'un groupe. On peut parler au nom du bien public, de ce qui est bien pour le public et, du même coup, se l'approprier. Cela est au principe de l'« effet Janus » : il y a des gens qui ont le privilège de l'universel, mais on ne peut pas avoir l'universel sans être en même temps monopolisateur de l'universel. Il y a un capital de l'universel. Le processus selon lequel se constitue cette instance de gestion de l'universel est inséparable d'un processus de constitution d'une catégorie d'agents qui ont pour propriété de s'approprier l'universel.
Je prends un exemple dans le domaine de la culture. La genèse de l'Etat est un processus au cours duquel s'opère toute une série de concentrations de différentes formes de ressources : concentration des ressources informationnelles (la statistique à travers les enquêtes, les rapports), de capital linguistique (officialisation d'un des parlers qu'on constitue en langue dominante de sorte que toutes les autres langues en sont des formes dépravées, dévoyées ou inférieures). Ce processus de concentration va de pair avec un processus de dépossession : constituer une ville comme la capitale, comme lieu où se concentrent toutes ces formes de capital (1), c'est constituer la province comme dépossession du capital ; constituer la langue légitime, c'est constituer toutes les autres langues comme des patois (2).
La culture légitime est la culture garantie par l'Etat, garantie par cette institution qui garantit les titres de culture, qui délivre les diplômes garantissant la possession d'une culture garantie. Les programmes scolaires sont affaire d'Etat ; changer un programme, c'est changer la structure de distribution du capital, c'est faire dépérir certaines formes de capital. Par exemple, supprimer le latin et le grec de l'enseignement, c'est renvoyer au poujadisme toute une catégorie de petits porteurs de capital linguistique. Moi-même, dans tous mes travaux antérieurs sur l'école, j'avais complètement oublié que la culture légitime est la culture d'Etat...
Passer du marché local au marché national
Cette concentration est en même temps une unification et une forme d'universalisation. Là où il y avait du divers, du dispersé, du local, il y a de l'unique. Avec Germaine Tillion, nous avions comparé les unités de mesure dans différents villages kabyles sur une aire de trente kilomètres : on a trouvé autant d'unités de mesure qu'il y avait de villages. La création d'un étalon national et étatique des unités de mesure est un progrès dans le sens de l'universalisation : le système métrique est un étalon universel qui suppose consensus, accord sur le sens. Ce processus de concentration, d'unification, d'intégration s'accompagne d'un processus de dépossession puisque tous ces savoirs, ces compétences qui sont associés à ces mesures locales sont disqualifiés.
Autrement dit, le processus même par lequel on gagne en universalité s'accompagne d'une concentration de l'universalité. Il y a ceux qui veulent le système métrique (les mathématiciens) et ceux qui sont renvoyés au local. Le processus même de constitution de ressources communes est inséparable de la constitution de ces ressources communes en capital monopolisé par ceux qui ont le monopole de la lutte pour le monopole de l'universel. Tout ce processus — constitution d'un champ ; autonomisation de ce champ par rapport à d'autres nécessités ; constitution d'une nécessité spécifique par rapport à la nécessité économique et domestique ; constitution d'une reproduction spécifique de type bureaucratique, spécifique par rapport à la reproduction domestique, familiale ; constitution d'une nécessité spécifique par rapport à la nécessité religieuse — est inséparable d'un processus de concentration et de constitution d'une nouvelle forme de ressources qui se trouvent être de l'universel, en tout cas d'un degré d'universalisation supérieur à celles qui existaient auparavant. On passe du petit marché local au marché national, que ce soit au niveau économique ou symbolique. La genèse de l'Etat est au fond inséparable de la constitution d'un monopole de l'universel, l'exemple par excellence étant la culture.
Je termine par une parabole pour illustrer ce que j'ai dit sur la méthode et sur le contenu. Il y a une trentaine d'années, un soir de Noël, je suis allé dans un petit village du fin fond du Béarn voir un petit bal de campagne (3). Certains dansaient, d'autres non ; un certain nombre de gens, plus âgés que les autres, avec un style paysan, ne dansaient pas, parlaient entre eux, se donnaient une contenance pour justifier le fait d'être là sans danser, pour justifier leur présence insolite. Ils auraient dû être mariés, puisque quand on est marié, on ne danse plus. Le bal est un des lieux d'échanges matrimoniaux : c'est le marché des biens symboliques matrimoniaux. Il y avait un taux très élevé de célibataires : 50 %de la classe d'âge 25-35 ans.
J'ai essayé de trouver un système explicatif de ce phénomène : c'est qu'il y avait auparavant un marché local protégé, non unifié. Quand ce que nous appelons l'Etat se constitue, il y a une unification du marché économique à laquelle l'Etat contribue par sa politique et une unification du marché des échanges symboliques, c'est-à-dire le marché du maintien, des manières, du vêtement, de la personne, de l'identité, de la présentation. Ces gens avaient un marché protégé, à base locale, sur lequel ils avaient un contrôle, ce qui permettait une sorte d'endogamie organisée par les familles. Les produits du mode de reproduction paysan avaient leurs chances sur ce marché : ils restaient vendables et trouvaient des filles.
Dans la logique du modèle que j'ai évoqué, ce qui se passait dans ce bal était la résultante de l'unification du marché des échanges symboliques : le parachutiste de la petite ville voisine qui venait en roulant des mécaniques était un produit disqualifiant, qui enlevait sa valeur à ce concurrent qu'est le paysan. Autrement dit, l'unification du marché, qu'on peut présenter comme un progrès, en tout cas pour les gens qui émigrent, c'est-à-dire les femmes et tous les dominés, peut avoir un effet libérateur. L'école transmet une posture corporelle autre, des manières de se vêtir, etc. ; et l'étudiant a une valeur matrimoniale sur ce nouveau marché unifié, tandis que les paysans sont déclassés. Toute l'ambiguïté de ce processus d'universalisation est là. Du point de vue des filles de la campagne qui partent à la ville, qui se marient avec un facteur, etc., il y a un accès à l'universel.
Comment les paysans sont devenus des provinciaux
Mais ce degré d'universalisation supérieure est inséparable de l'effet de domination. J'ai publié récemment un article, sorte de relecture de mon analyse du célibat en Béarn, de ce que j'avais dit à l'époque, que j'ai intitulé pour m'amuser « Reproduction interdite » (4). Je montre que cette unification du marché a pour effet d'interdire de facto la reproduction biologique et sociale à toute une catégorie de gens. A la même époque, j'avais travaillé sur un matériel trouvé par hasard, les registres des délibérations communales d'un petit village de deux cents habitants pendant la Révolution française. Dans cette région, les hommes votaient à l'unanimité. Arrivent des décrets disant qu'il faut voter à la majorité. Ils délibèrent, il y a des résistances, il y a un camp et un autre camp. Peu à peu, la majorité l'emporte : elle a derrière elle l'universel.
Il y a eu de grandes discussions autour de ce problème soulevé par Tocqueville dans une logique continuité/discontinuité de la Révolution. Il reste un vrai problème historique : quelle est la force spécifique de l'universel ? Les procédures politiques de ces paysans aux traditions millénaires très cohérentes ont été balayées par la force de l'universel, comme s'ils s'étaient inclinés devant quelque chose de plus fort logiquement : venant de la ville, mise en discours explicite, méthodique et non pratique. Ils sont devenus des provinciaux, des locaux. Les comptes rendus des délibérations deviennent : « Le préfet ayant décidé... », « Le conseil municipal s'est réuni... ». L'universalisation a pour envers une dépossession et une monopolisation. La genèse de l'Etat, c'est la genèse d'un lieu de gestion de l'universel, et en même temps d'un monopole de l'universel, et d'un ensemble d'agents qui participent du monopole de fait de cette chose qui, par définition, est de l'universel.
"Sur l'Etat" de Pierre Bourdieu éd. Seuil - Idées - France Culture : Invité: Pierre Encrevé, linguiste, Professeur à l'université Paris VIII puis Directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, Paris), spécialiste de phonologie, pragmatique, sociolinguistique et histoire sociale de la linguistique.
Conseiller culturel du Premier Ministre Michel Rocard de 1988 à 1991, puis du ministre de la culture de 1997 à 2000. Auteur du catalogue raisonné de Pierre Soulages.
Pierre Bourdieu ©Daniel Mordzinski
Invité: Pierre Encrevé, linguiste, Professeur à l'université Paris VIII puis Directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, Paris), spécialiste de phonologie, pragmatique, sociolinguistique et histoire sociale de la linguistique.
Conseiller culturel du Premier Ministre Michel Rocard de 1988 à 1991, puis du ministre de la culture de 1997 à 2000. Auteur du catalogue raisonné de Pierre Soulages.
Invité(s) :
Pierre Encrevé
Thème(s) : Idées| Sociologie| Pierre Bourdieu
A réécouter : http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4369981
23.01.2012 - La Fabrique de l'Histoire│11-12
Une histoire de l'Etat 1/4 54 minutes
07.01.2012 - Une vie, une oeuvre | 11-12
Pierre Bourdieu (1930 - 2002) 58 minutes a écouter :
par Jean-Luc Eyguesier réalisation : Nathalie Salles Le 23 avril 1982, Pierre Bourdieuprononce sa leçon inaugurale au Collège de France. C'est l'aboutissement d'une carrière universitaire exemplaire pour le sociologue. Avec des livres majeurs comme Les Héritiers (1964), La Reproduction (1970), la Distinction (1979) ou le Sens pratique (1980), il s'est imposé comme une figure ... une figure intellectuelle majeure en France.C'est aussi une figure très contestée : ses théories et sa position de sociologue critique, engagé au coté des "dominés" trouvent de nombreux opposants.
Pierre Bourdieu n'est pas consensuel et le sera encore moins dans les années 90 quand il multiplie les prises de positions publiques contre le néo-libéralisme et pour les mouvements sociaux contestataires.
10 ans après sa mort, son influence dans le champ de la sociologie ne se dément pas. L'occasion d'un retour sur sa vie et son ½uvre.
Pierre Bourdieu: Arrêt sur image, 1996
A lire
Trois titres indispensables de Pierre Bourdieu :
La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d'enseignement (1970), prolongement de la réflexion entamée dans Les Héritiers (1964) sur la fonction reproductrice de l'école.
La Distinction. Critique sociale du jugement (1979), analyse de la construction sociale des goûts, des jugements esthétiques.
Méditations pascaliennes (1997), critique de la philosophie abstraite, « scolastique », placée sous le signe de Pascal, autre destructeur des apparences, des illusions humaines.
Filmographie[
1984 : Entretien de Pierre Bourdieu avec Didier Eribon, cassette vidéo du CNRS.
1990 : Grands entretiens. Pierre Bourdieu, Antenne 2 avec Antoine Spire, Miguel Benasayag et Pascale Casanova. Cf. Si le monde social m'est supportable... _l'Aube">Éditions de l'Aube,
2004.1991 : Pierre Bourdieu, Chercheur de notre temps, vidéo du CNDP.
1991 : Bourdieu, Réflexions faites, émission de la SEPT, diffusée le 31/03/1991.
1998 : Grand entretien du Cercle de minuit, avec Laure Adler, France télévision (France 2),
avril 1998.1999 : Entretien Pierre Bourdieu et Günter Grass, Arte, diffusé le 5/12/1999.1999 : Le champ journalistique, intervention filmée de Pierre Bourdieu au Collège de France. Cette intervention est à l'origine du livre Sur la télévision.2001 : La sociologie est un sport de combat :
/La_sociologie_est_un_sport_de_combat de Pierre Carles : documentaire cinématographique sur l'engagement intellectuel de Bourdieu (en salle en 2001, en dvd en 2007).La Sociologie est un sport de combat 2002 Bourdieu - YouTube : 2002 :
Dans Enfin pris de Pierre Carles, le documentariste s'appuie sur un passage de Pierre Bourdieu dans l'émission de Daniel Schneidermann, Arrêt sur images, pour expliciter la théorie du sociologue sur le champ médiatique.
A lire
Sur l'Etat. Cours au Collège de France 1989-1992, de Pierre Bourdieu, éd. établie par Patrick Champagne, Rémi Lenoir, Franck Poupeau et Marie-Christine Rivière, coéd. Raisons d'agir/Seuil, 656 p., 30 ¤.
Pierre Bourdieu. Quand l'intelligence entrait enfin en politique ! 1982-2002, de Jean Baudouin, éd. du Cerf, 124 p., 14 ¤.
Pierre Bourdieu
Sociologue (1930-2002). Ce texte est extrait de Sur l'Etat. Cours au Collège de France, 1989-1992, Raisons d'agir - Seuil, Paris, 2012, qui paraît le 5 janvier.
(1) Ce lien entre le capital et la capitale sera développé ultérieurement par Pierre Bourdieu dans « Effets de lieu », La Misère du monde, Seuil, Paris, 1993, p. 159-167.
(2) Sur la langue légitime et le processus corrélatif de dépossession, cf. la première partie de Langage et pouvoir symbolique, Seuil, Paris, 2001, p. 59-131.
(3) Lire la description de cette « scène initiale » au début de l'ouvrage Le Bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Seuil, Paris, 2002, p. 7-14.
(4) Pierre Bourdieu, « Reproduction interdite. La dimension symbolique de la domination économique », Etudes rurales, n° 113-114, Paris, 1989, p. 15-36, repris dans Le Bal des célibataires, ibid., p. 211-247.
[PDF] Pierre Bourdieu, 1930-2002 - Bibliothèque nationale de France
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