Source Des moyens de prévenir les crimes "
" Si les passions ou la nécessité de faire la guerre ont appris à répandre le sang humain, les lois, dont l'objet est d'adoucir les m½urs, ne devraient pas au moins multiplier cette barbarie ".
" Pour qu'une peine ne soit pas une violence d'un seul ou plusieurs, contre un citoyen, elle doit être publique, prompte, nécessaire, la moindre qu'il soit possible dans les circonstances données, proportionnée aux délits, dictée par les lois ".
Cesare Bonesana (1738-1794),
marquis de Beccaria
Des délits et des peines
Chapitre XLI
" Des moyens de prévenir les crimes "
« Il vaut mieux prévenir les crimes que d'avoir à les punir ; et tout législateur sage doit chercher plutôt à empêcher le mal qu'à le réparer, puisqu'une bonne législation n'est que l'art de procurer aux hommes le plus grand bien-être possible, et de les garantir de toutes les peines qu'on peut leur ôter, d'après le calcul des biens et des maux de cette vie.
Mais les moyens que l'on a employés jusqu'à présent sont pour la plupart insuffisants ou contraires au but que l'on se propose. Il n'est pas possible de soumettre l'activité tumultueuse d'une masse de citoyens à un ordre géométrique, qui ne présente ni irrégularité ni confusion. Quoique les lois de la nature soient toujours simples et toujours constantes, elles n'empêchent pas que les planètes ne se détournent quelquefois de leurs mouvements accoutumés. Comment donc les lois humaines pourraient-elles, au milieu du choc des passions et des sentiments opposés de la douleur et du plaisir, empêcher qu'il n'y ait quelque trouble et quelque dérangement dans la société? C'est pourtant la chimère des hommes bornés, lorsqu'ils ont quelque pouvoir.
Si l'on défend aux citoyens une multitude d'actions indifférentes, comme ces actions n'ont rien de nuisible, on ne prévient pas les crimes; au contraire, on en fait naître de nouveaux, parce qu'on change arbitrairement les idées ordinaires de vice et de vertu, que l'on proclame cependant éternelles et immuables.
D'ailleurs, à quoi l'homme serait-il réduit, s'il fallait lui interdire tout ce qui peut être pour lui une occasion de mal faire? Il faudrait commencer par lui ôter l'usage de ses sens.
Pour un motif qui pousse les hommes à commettre un crime, il y en a mille qui les portent à ces actions indifférentes, qui ne sont des délits que devant les mauvaises lois. Or, plus on étendra la sphère des crimes, plus on en fera commettre, parce qu'on verra toujours les délits se multiplier à mesure que les motifs de délits spécifiés par les lois seront plus nombreux, surtout si la plupart de ces lois ne sont que des privilèges, c'est-à-dire un tribut imposé à la masse de la nation, en faveur d'un petit nombre de seigneurs.
Voulez-vous prévenir les crimes ? Que les lois soient simples, qu'elles soient claires ; sachez les faire aimer; que la nation entière soit prête à s'armer pour les défendre, et que le petit nombre dont nous avons parlé ne soit pas sans cesse occupé à les détruire.
Que ces lois ne favorisent aucune classe particulière; qu'elles protègent également chaque membre de la société; que le citoyen les craigne et ne tremble que devant elles. La crainte qu'inspirent les lois est salutaire ; la crainte que les hommes inspirent est une source funeste de crimes.
»

L'ouvrage publié à Livourne en 1764 sous le titre Dei delitti e delle pene (Des délits et des peines) constitue l'acte fondateur de la justice pénale moderne. Cesare Bonesana , professeur de droit, magistrat et haut fonctionnaire, y recense les critiques adressées à la justice criminelle et, pour chacune d'entre-elles, propose un principe correcteur :
" La justice est cruelle, sinon barbare (peines corporelles et infâmantes, peine de mort surtout, torture, etc.), Beccaria propose la DOUCEUR DES PEINES ; la justice frappe fort, donc, mais peu, elle se veut exemplaire, dissuasive, et épargne les puissants, Beccaria propose la SÛRETE DES PEINES ..." ( Christian Carlier )
En France, sous le règne de Louis XVI, Des délits et des peines se traduisit en partie dans la législation royale ou la jurisprudence : en 1780, la question préalable infligée au condamné avant exécution fut supprimée ; en 1788 une déclaration royale annonçait un élargissement du droit de grâce, une réduction des condamnations à mort et la suppression de la question préparatoire.
Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme & du citoyen s'en inspirèrent également dans certains de ses articles :
" La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. " (art. 5) ;
" Nul ne peut être arrêté, accusé ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites ." (art. 7) ;
" La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie & promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. " (art. 8) ;
" Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne sera pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " (art. 9)
Toutefois, dans le Code pénal français :
" la peine de mort fut maintenue, de même que le bagne (travaux forcés), la prison devenant avec l'amende une panacée, mais qui ne s'appliquait qu'aux infractions petites et moyennes, sous la forme réduite bientôt à l'emprisonnement correctionnel et la réclusion criminelle. Le plus important était que l'enfermement, peine extraordinaire, devenait une peine ordinaire prononcée par les juridictions ordinaires." ( Christian Carlier )
_-_-_
> Traîté des délits et des peines - Troisième édition française - 1776 - Gallica-BnF
> Traité des délits et des peines - Editions du Boucher - Notice biographique et PDF ( traduction de Morellet )
> Voltaire (1694 - 1778) - " Commentaire sur le Livre des délits et des peines par un avocat de province "- Athena
> Christian Carlier Histoire de l'administration pénitentiaire française de l'Ancien Régime à nos jours Paru dans Criminocorpus, revue hypermédia, Varia
l-indigne, Posté le vendredi 24 février 2012 05:44
sriverman a écrit : " "
Merci pour la référence, j'y penserais
Bonne journée, a + :)